Le maître t'a fait lézard gris; tiens-toi à ta place dans ta crevasse nue, bois ton rayon de soleil et rends grâce! (Alphonse de Lamartine, Cours familier de littérature)
Détail des étapes de réalisation d'une marqueterie de bois
Chaussez vos plus belles lunettes (ne les mettez pas aux pieds, hein, c'est juste une façon de dire...), parce qu'il va y avoir de la lecture.
⚠️Pour bien suivre les explications, il est nécessaire que ceux qui ne sont pas particulièrement attentifs à l'orthographe fassent tout de même la différence entre le placage (le bois, débité en épaisseurs très fines) et le plaquage (le fait de plaquer, de coller le placage). J'ajoute que le marqueteur n'est pas celui qui fait du marketing, soit dit pour ceux qui auraient encore des doutes, et que le Père Noël n'existe pas (mais St Nicolas, oui). Maintenant que tout a été clarifié, nous pouvons commencer.
Ouvrez vos livres du petit marqueteur (mal) illustré à la page, heu, eh bien, la page un. Commencer par le début, c'est mieux.
Le tracé est le guide à la fois de la découpe des pièces et de leur assemblage ensuite. Le dessin à utiliser pour réaliser une marqueterie n'est donc pas fait pour être beau, mais pratique. Il faut seulement qu'apparaisse nettement le contour de chacune des pièces que l'on aura à découper.
Il est à noter qu'à l'étape du plaquage on "retourne" la marqueterie. Ceci doit être anticipé dès le début, et le dessin doit donc être inversé par rapport à l'image que devra figurer la marqueterie une fois terminée. Ceci n'a bien sûr aucune importance dans le cas d'une marqueterie parfaitement symétrique selon un axe central.
Les feuilles de placage qui servent à la marqueterie sont des "feuilles" de bois assez fines; celles que j'utilise font 6/10e de millimètre d'épaisseur, mais il en existe également de 3/10e, 9/10e, et, bien sûr, de plusieurs millimètres.
Le principe fondamental de la marqueterie est d'utiliser des feuilles de placage d'essences de bois de couleurs, textures, et/ou veinages différents afin d'obtenir un contraste entre les pièces, d'où l'importance de bien choisir les différents bois ou matériaux que l'on compte utiliser. On peut éventuellement teinter des feuilles de placage pour obtenir des couleurs qui n'existent pas naturellement dans le bois (le bleu, notamment), et ainsi augmenter sa "palette".
Différents placages alignés: zébrano, padouk, buis, bubinga.
Un dessin légendé, servant à repérer quelle pièce sera en quel bois.
Les feuilles de placage sont trop fines et donc trop fragiles pour résister à la découpe sans être protégées. On colle donc un papier kraft sur un des côtés de chaque feuille de placage, puis on enferme celles-ci entre deux contre-plaques plus épaisses pour obtenir une meilleure solidité et une meilleure rigidité. Ces ensembles comprenant des plaques fixées de part et d'autre d'une ou plusieurs feuilles de placage sont nommés "paquets de découpe".
Sur le dessus de chaque paquet ainsi réalisé vont être collés des morceaux de papier où figurent le contour des pièces à découper. Idéalement, on place les papiers dans une position précise sur le paquet pour maîtriser le sens dans lequel le fil du bois sera sur notre pièce à découper.
Une feuille de placage est glissée entre deux contreplaques. Une fois fixé, le tout formera un "paquet".
La découpe des pièces de la marqueterie peut se faire de différentes façons: à la scie à chantourner, au chevalet, au bocfil ou encore au cutter. En ce qui me concerne j'utilise une scie à chantourner Hegner. Sur cette machine, une lame très fine est actionnée via une pédale et je viens travailler mes paquets sur cette lame en mouvement. Le principe consiste à suivre parfaitement le tracé sans en dévier, pour détourer chaque pièce et ensuite l'extraire du paquet.
Les pièces découpées sont délicatement gardées de côté, quelque part où elles ne seront ni perdues ni abîmées d'ici à l'étape suivante.
Afin de donner un effet d'ombre sur certaines zones de la marqueterie, on peut noircir les bords de certaines pièces de bois. Il existe là aussi différentes techniques, mais la plus répandue, et celle que j'emploie, consiste à tremper le côté que l'on souhaite noircir dans du sable préalablement chauffé à plus ou moins 300°C. On doit s'appliquer à obtenir un noir suffisamment marqué pour qu'il ne disparaisse ou ne s'estompe pas au ponçage, tout en prenant garde à ce que le bois ne commence pas à se consumer; Aussi, le temps pendant lequel on garde la pièce de bois dans le sable doit être judicieusement dosé.
Cette étape n'est pas nécessaire à toutes les marqueteries, et on peut réaliser de belles images sans aucun ombrage.
L'assemblage des pièces se fait dans un premier temps sur papier, avec une colle réversible (ainsi on pourra décoller le papier plus tard). En l'occurrence j'utilise de la colle chaude (colle naturelle faite à base d'os et de nerf animal en poudre).
Cette étape peut prendre du temps, car on constate parfois qu'il faut ajuster voire recommencer certaines pièces, ce qui implique dans ce second cas un retour à l'étape "découpe".
On appliquera une pâte (foncée si possible, mais cela dépend des couleurs de nos essences) sur la marqueterie ainsi tendue sur papier, de sorte à remplir tous les petits interstices, et aussi de souligner les lignes qui doivent être visibles.
Après un nettoyage de sa surface pour faciliter la prise de la colle, la marqueterie, qui pour l'instant tient uniquement grâce au papier, doit ensuite être plaquée, le plus souvent sur un panneau. Plaquée signifie collée sur son support définitif. Cela se fait en maintenant l'ensemble pressé pendant le temps de séchage de la colle, soit plusieurs heures.
C'est une étape délicate car si la marqueterie a été mal plaquée on risque d'assister ensuite au décollage malencontreux de certaines pièces.
Idéalement on plaquera aussi le revers du panneau avec une feuille de placage quelconque afin, entre autres raisons, que le verso du tableau ne soit pas laid à voir.
Comme expliqué à l'étape "dessin", puisque c'est le côté qui n'est pas déjà collé sur papier qui sera collé sur panneau, l'image représentée par la marqueterie se trouvera donc inversée.
Les serre-joints sont petit à petit disposés autour des panneaux enserrant celui accueillant la marqueterie.
Une fois le panneau libéré de son serrage, la marqueterie doit encore être débarrassée du papier qui la recouvre pour devenir visible. On décolle délicatement celui-ci en ramollissant la colle qui le maintient (comme expliqué à l'étape 6, la colle chaude avec laquelle j'ai collé mes éléments sur le papier peut être ramollie en la chauffant), puis on nettoie les résidus de colle et autres saletés qui peuvent encore demeurer en surface.
Une fois la marqueterie visible, le panneau est recoupé aux bonnes dimensions et à la bonne forme (l'immense majorité du temps c'est en format rectangulaire bien sûr). Je me sers pour cela d'une scie circulaire. A noter que le placage, même bien collé, "éclate" facilement là où la lame de circulaire passe si l'on ne prend pas au préalable les précautions qui s'imposent. Attention donc à ne pas saccager accidentellement notre marqueterie pourtant presque finie.
La marqueterie est encore en partie recouverte de kraft. Celui-ci est enlevé progressivement, et délicatement.
Ce qu'on appelle le chant d'un panneau, c'est la tranche de celui-ci, la surface latérale qui résulte de son épaisseur.
Cette étape n'est pas nécessaire (d'autant moins si on compte encadrer le tableau, puisqu'alors les chants seront masqués) mais personnellement je préfère toujours plaquer les chants, tout comme je plaque habituellement le verso du panneau, pour rendre le tableau plus beau et visuellement plus propre dans son ensemble.
Je peux plaquer les chants avec une seule et même essence de bois qui fera tout le tour de la marqueterie, ou avec plusieurs essences, selon les tableaux. Cette seconde solution est évidemment plus compliquée, mais parfois cela sert mieux l'ensemble.
La marqueterie doit maintenant être raclée (délicatement tout de même, car le fil du bois est souvent orienté dans un sens différent d'une pièce à l'autre), et le tableau tout entier poncé. Rien de bien original à dire sur cette étape, si ce n'est que dans mon cas elle est faite à la main, armé d'une simple cale à poncer. Partant du grain de 120, je descends progressivement jusqu'à un grain de 400, parfois de 600, et je termine très souvent en donnant un coup de laine d'acier 000 avant un coup de brosse douce.
Attention, il est important de ne pas se laisser aller à poncer trop fort ou trop longtemps, sans quoi la fine épaisseur de placage pourrait se trouver percée quelque part. Et lorsque la marqueterie est percée, souvent, c'est foutu.
Il est bon de rappeler également que le ponçage crée des micropoussières desquelles il est important de se préserver en portant un masque adapté... Mais moi je n'en mets pas parce que je n'aime pas ça. Et ça tient trop chaud. Et c'est moche en plus. Et il y a déjà trop de protections à gérer: chaussures de sécurité, casque anti-bruit, lunettes de protection, gants de protection, préservatif, etc. On pourrait aussi bien porter un scaphandre, on ne verrait pas tellement de différence. Hum, heu, bon, je me suis un peu égaré. Pardon.
Le tout peut maintenant être soit vernis, soit ciré, soit huilé, selon la préférence de chacun... voire, pourquoi pas, laissé brut. Personnellement je préfère, lorsque j'applique une finition sur un tableau de marqueterie, ne pas mettre quelque chose de trop brillant, notamment pour éviter d'avoir à me battre ensuite contre trop de reflets parasites lorsque je veux contempler (ou photographier) l'image.
Il ne reste plus qu'à mettre au tableau un cadre et/ou un système de fixation derrière pour pouvoir l'accrocher au mur.